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MODEM LE CANNET ROCHEVILLE
9 juin 2009

Du gladiateur au batisseur

Le débat télévisuel entre leaders politiques tel que nous le validons aujourd’hui dans nos sociétés fait sans doute rêver beaucoup de citoyens de par le monde qui courent encore après un début de démocratie.

Officiellement, on pourrait en effet penser que ce style de débat (ou plutôt cette stylisation de débat) vise à alimenter la pensée démocratique, en aidant tout auditeur à élaborer son propre système d’information, et donc son choix politique. Et si choix il y a, en conscience et en liberté, il participerait donc à augmenter l’autonomisation et la responsabilisation du citoyen dans sa construction du processus démocratique.

Or le code actuel du débat télévisuel politique nous montre en fait l’inverse de ce qu’il affiche rechercher.

Car nous assistons à une exacerbation du conflit.

Se rapprochant de la corrida ou des jeux du cirque, elle veut montrer une « mise à mort » d’un des candidats, qui loin de faire office de catharsis collective, induit la défiance envers un leader qui est montré n’arrivant pas à construire avec la case d’à côté, alors même qu’il le souhaite et qu’il l’annonce.

Non seulement dans cette seule responsabilité virtualisée de lever ou d’abaisser le pouce, le citoyen ne participe pas à la construction du sens d’un projet politique, mais encore il alimente l’ampliation d’une société du conflit qui se convainc qu’il est impossible de sortir du conflit de case à case, pour construire à une autre échelle. Dans cet espace du seul conflit, il est alors peu étonnant que le citoyen reproduise sa mise à mort  par un vote sanction.

Car nous assistons aussi à une exacerbation du signe

Des émissions entières se fondent sur le décodage des postures, des gestes, des mimiques des hommes publics, en elles-mêmes, détachées de leur contexte. Or tout signe est signe de quelque chose et il ne devient message qu’en le reliant à un contexte.

Lorsqu’une société s’engage dans une réduction généralisée du sens, il n’y a hélas pas de moteur interne pour l’arrêter[1]. A raison de coupures de paroles au nom d’un temps segmentisé en moments d’antenne tyranniques, à raison de zapping thématiques dès que plus de deux phrases tentent d’exprimer un sujet, à raison de dizaines de minutes de bruit et de fureur où aucune idée n’est plus audible, au nom d’une censure de ce qui est réputé ennuyeux (par qui ?), la recherche marketing effrénée de la forme a évidé le sens du débat politique, et donc de la démocratie.

Plus encore, cette consécration de la forme coupée du sens (qui pourtant la fait naître et la justifie et non l’inverse) a fait aussi disparaître tout produit politique du débat. Il n’y a tellement plus rien à proposer aux citoyens dans ces débats, que ceux-ci ont l’impression qu’aucun leader politique n’a d’idée, ou, ainsi qu’on l’entend souvent sur les marchés : « ils ont tous les mêmes ».

Au règne du superficiel, de l’extériorité, de l’hyper centralisation sur le signe minimum, comment s’étonner que le citoyen ne voie que la couleur des paillettes ? Au bout d’un certain temps, le cercle devient vicieux tout seul : pas besoin de volonté politique pour l’alimenter, quand par une succession de feed-back positifs, le phénomène s’autoproduit en échappant à ceux qui l’ont initié.

Le leader politique pris dans cette spirale la subit .

Ses conséquences le victimisent malgré lui, malgré sa volonté de la maîtriser.

Mais pas plus le taureau que le gladiateur antique ne construisent autre chose que du spectacle avec le public...Dans un système qui nie l’individu, celui-ci sera toujours perdant, fût-il apparemment le gagnant d’un débat. Dans ce jeu de leurres et de miroirs sans fond, il faut se montrer lisse pour ne pas déplaire. Et à se montrer lisse, on perd son « humanitude », sa lisibilité d’être humain pour les autres humains. La place est alors prête pour devenir une marionnette soumise aux caprices aveugles du peuple (un « guignol ? »)

Sans doute ne peut-on compter aujourd’hui sur une moralisation de la presse qui reprendrait massivement une fonction de construction démocratique du sens...Il reste pour sortir de ce dangereux formatage, la résistance.

Résistance individuelle du leader qui fait autrement, et qui peut alors avoir valeur d’entraînement par feed-back négatif[2]. Résistance par exemple en montrant son « humanitude », ses forces et ses faiblesses.

C’est en n’essayant pas de ressembler à un robot qu’on regagnera la confiance du citoyen. Et qu’on pourra lui offrir alors non pas une mise à mort, mais une vraie participation à la mise en projet de sa vie, de son pays, de son futur.

A nous de savoir si nous voulons perpétrer la mort ou perpétuer la vie, car c’est bien là l’objet d’une démocratie non ?

Evelyne Biausser


[1] On pourrait parodier la phrase des Carnets où Léonard de Vinci remarque : « quand on a commencé de rechercher le sens ça ne s’arrête plus » en « quand on a commencé de réduire le sens... »

[2] Rappelons qu’un feed-back négatif enclenche autre chose, au contraire d’un feed-back positif qui crée toujours plus de la même chose.

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Commentaires
E
Désolée cher GM anonyme, je suis une intellectuelle et n'en ai pas honte!
G
Bravo pour la verve !<br /> Il n'y a pas grand'monde pour comprendre ce texte mais c'est cela qui marche : être compris par ceux qui comprennent et donner l'impression d'être "quelqu'un", d'être un grand intellectuel, à ceux qui n'ont pas compris le texte.<br /> Souvent les paroles compliquées ont un meilleur impact et un résultat plus positif que les paroles toutes simples comprises par tous.<br /> Mettez-vous en avant. <br /> Vous avez l'étoffe d'un grand orateur, réfléchi et sensé.<br /> Vous saurez en imposer à vos adversaires tout en ne suscitant pas d'attaques destructives car même si cela devait être le cas, vos réponses hautement intellectuelles ne seraient pas comprises par le plus grand nombre et donc n'auraient aucun impact négatif.<br /> Vous êtes faite pour des débats télévisés : vous serez comprise par les uns et non décriée par les autres.<br /> Sincèrement.
MODEM LE CANNET ROCHEVILLE
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